En 2017, nous évoquions la fête organisée à l’occasion des vingt-cinq ans d’existence de la « Société d’Archéologie de Bruxelles » qui devint alors Société « royale », dans une notice sur le frontispice d’une publication d’époque qui en fit l’écho. Le nom des invités de marque et les discours qui eurent lieu lors d’un banquet furent imprimés dans une publication spéciale parue en 1913. Parmi les invités, un nom célèbre émerge qui ne laisse pas d’intriguer : « à s.a.i. le Prince Bonaparte », qui est qualifié de savant.

Deux lettres retrouvées
Conservées dans nos Archives, figurent deux lettres datées de 1913 qui sortent de l’ordinaire par leurs reliures cartonnées faites sur mesure et le nom qu’elles véhiculent.

Il s’agit de deux reliures de couleur lie-de-vin spécialement aménagées pour accueillir ces courriers jugés alors prestigieux ; un
volet est même réalisé pour contenir l’enveloppe. La couverture est imprimée en lettres dorées au nom « Prince Roland Bonaparte ». Une étiquette comporte le numéro de classement 5802 que l’on retrouve aussi inscrit au crayon sur la seconde lettre. D’une dimension de 10,5 x 13,2 cm, les deux lettres portent le cachet de la Société et son adresse au revers.

Ces deux courriers nous renseignent davantage sur un événement qui peut paraître anodin mais qui fait réfléchir sur le contexte de la nomination de cet explorateur comme membre d’honneur de la Société d’Archéologie.

Dans le premier courrier daté du 24 février, il apparaît que
Roland Bonaparte avait participé au banquet de réception organisé pour les vingt-cinq ans d’existence de la Société d’Archéologie. Dans le second courrier daté du 4 août qu’il adresse au
président de la Société à son retour de voyage dans les Balkans, il le
remercie et se dit flatté de devenir membre d’honneur de la Société.

Roland Bonaparte ne se contente pas seulement d’assister à cette réunion festive, il en préside même le déroulement aux côtés du président de la
Société, Guillaume des Marez. Il fut également mis à l’honneur lors de la réception qui se tint à l’Hôtel de Ville.

Roland Bonaparte
Sa généalogie est bien connue puisqu’il était le petit-fils de Lucien
Bonaparte, révolutionnaire et un des frères de Napoléon Bonaparte.
Privé de carrière militaire, Roland Bonaparte se tourne vers la recherche scientifique en tant que géographe, ethnographe et naturaliste.

Féru d’archéologie, d’aviation et grand voyageur, alors qu’il constitue et rassemble ses collections, il développe une grande bibliothèque et crée son laboratoire photographique dans son Hôtel de l’avenue d’Iéna à
Paris dès 1895. Les fougères devinrent sa spécialité ; il publia de
nombreux ouvrages sur ce sujet.
Ses parents s’étant mariés à Bruxelles en 1867, c’est en Belgique,
notamment dans les Ardennes et à Bruxelles, avant de rejoindre Londres, qu’il passe une partie de son enfance dans les années 1870.

Roland Bonaparte est membre de la Société d’Archéologie de Bruxelles depuis au moins l’année 1891 jusqu’au début de l’année 1913 en tant que membre correspondant ayant apporté une contribution significative à la Société. Mais quelle contribution a-t-il pu lui apporter ? Est-ce un don de publications, une aide financière ou toute autre faveur qu’il lui accorda qui le conduisit à cette position, ou tout simplement sa notoriété dans les domaines scientifiques ?

En cette année 1913, la Société s’attelle à des travaux scientifiques qui se poursuivent notamment par des exposés et des expositions. On y parle de fortifications, du livre d’Heures de Marie de Bourgogne, d’une exposition d’aquarelles du peintre Albrecht Dillens, des fouilles à la collégiale Sainte-Gudule, de l’histoire militaire, de la reconstruction des Halles de Malines ou encore de la maison de La Bellone et de la restauration de la Grande Boucherie de Bruxelles. Roland Bonaparte est alors président de la Société de Géographie française, il est aussi membre de l’Institut de France.

Cette même année, il se voit décerner le titre de membre d’honneur de la Société d’Archéologie de Bruxelles, dont les statuts de l’époque stipulent que le titre est décerné à une personne ayant fourni une contribution « au progrès des sciences archéologiques ». Dans ses premières Annales, la Société d’Archéologie avait déjà fait écho à la parution de son ouvrage Les habitants du Suriname.
Notons que dans les deux lettres, une différence de ton se marque à l’adresse du Président : la première est davantage chaleureuse et familière que la seconde, ce qui peut s’expliquer par le changement d’interlocuteur puisque la présidence de la Société, entre le mois de janvier 1913 et le mois de mars suivant, passe de Guillaume des Marez à Albert Joly. C’est sous la présidence d’Albert Joly que Roland Bonaparte est fait membre d’honneur. La mention d’un long voyage de quatre mois dans les Balkans qu’il évoque dans sa seconde lettre s’explique probablement par la présence de sa fille dans cette région puisqu’elle avait épousé le roi Georges de Grèce en 1907. Il se rend dans les Balkans entre mars et août 1913 au moment des guerres balkaniques.

En guise de conclusion
Les deux lettres se rattachent donc au contexte festif de la Société, mais aussi à sa vie scientifique et à ses rapports avec le monde international.
Pourquoi dès lors avoir conservé ces deux courriers dans un écrin
attestant leur grand intérêt, si ce n’est comme la preuve du lien étroit qu’elle affirme avec une personnalité prestigieuse dans les domaines
savants qui occupaient la Société. Roland Bonaparte connaissait Bruxelles et la Belgique puisqu’il y avait séjourné étant enfant, mais c’est ici un
témoignage supplémentaire de ses relations avec Bruxelles qui émerge de ces deux lettres au contenu, somme toute, bien anodin.

1 Pierre Anagnostopoulos, « Nouvel éclairage sur le lien entre archéologie et Art nouveau à Bruxelles. Le frontispice de la page de garde des vingt-cinq années d’activités de la srab », dans Bulletin d’information, n° 79, juillet 2017, p. 3-10.
2  xxv années d’activités, 1887-1912, Bruxelles, Publication de la Société royale d’Archéologie de Bruxelles, 1913, p. 34.
3  Voir à ce sujet, Le Soir, 28 janvier 1913, p. 2 ; « La Société royale d’Archéologie a commémoré dimanche le xxve anniversaire de sa fondation », dans L’Indépendant, 28 janvier 1913, p. 2. L’extrait du courrier de la Presse du 25 janvier 1913 qui accompagne la première lettre indique la présence de Roland Bonaparte aux fêtes organisées pour les « 50 ans » (sic) d’existence de la Société.
4  Henri Lecomte, « Notice sur s.a. le Prince Roland Bonaparte », dans Bulletin de la Société botanique de France, novembre-décembre 1924, p. 2.
5  Voir Annuaire de la Société d’Archéologie de Bruxelles, t. 2, 1891, p. 48 et t. 24, 1913, p. 80.
6  Annuaire de la Société royale d’Archéologie de Bruxelles, t. 25, 1914, p. 55-68.
7  France Duclos, « Un collectionneur, sa bibliothèque et la Société de Géographie : Roland Bonaparte (1858-1924) », dans Acta geographica, t. 3, 1996, n° 107,
p. 61-67.
8  Emile de Munck, « Les habitants du Suriname par le prince Roland
Bonaparte…», dans Annales de la Société d’Archéologie de Bruxelles, t. 4, 1890, p. 196 ; Annales de la Société royale d’Archéologie de Bruxelles, t. 66, 2003 : Tables générales des Publications, 1887-1999, p. 19.
9  Voir à ce sujet Annuaire de la Société royale d’Archéologie de Bruxelles, t. 25 1914, p. 57.
10  Voir Annuaire de la Société royale d’Archéologie de Bruxelles, t. 25, 1914, p. 69.
Couvertures cartonnées des deux reliures de lettres au nom de Roland Bonaparte en lettres d’or. Archives srab.
Lettre dans laquelle Roland Bonaparte remercie pour la réception faite à Bruxelles en son honneur et le don d’un jeton commémoratif.
Archives srab.
Réception à l’Hôtel de Ville de Bruxelles, au cours de laquelle Roland Bonaparte fut mis à l’honneur. Source : xxv Années d’activités, 1887-1912, Société royale
d’Archéologie de Bruxelles, 1913.

Pierre Anagnostopoulos
Société royale d’Archéologie de Bruxelles