Chef d’œuvre énigmatique conservé au Musée des Offices à Florence
La tenture des Valois, aussi nommée les « Fêtes de Catherine de Médicis », est une œuvre qui a depuis longtemps suscité l’intérêt des chercheurs. Elle a été l’objet de nombreuses publications jusqu’à très récemment. Objet d’une exposition à New York en 2018 et d’une autre exposition à Fontainebleau au printemps dernier, la tenture suscite encore recherches et questionnements sur divers aspects comme les portraits, les scènes représentées, l’origine bruxelloise de sa fabrication ou sa technique d’exécution. Nous avons traité en particulier une tapisserie, celle dite le « Jeu de la quintaine ». L’analyse a abouti à proposer un nouveau titre à cette œuvre de premier plan au sein de la tenture (fig. 1).

Fig. 2 – Manufacture bruxelloise, Chasse dans les jardins du palais ducal à Bruxelles, seconde moitié du xvie siècle, Hôtel de Ville de Bruxelles, inv. E.1887.1 © Musées de la Ville de Bruxelles
Tant le décor architectural que le paysage plutôt limité sur le dessin
acquièrent une nouvelle dimension dans la tapisserie. Le paysage devient une part essentielle de celle-ci. Loin de Bayonne ou de Paris, les jardins et le panorama sont ceux de Bruxelles et de son palais. Le palais qui est haut perché et la ville en contrebas sont une caractéristique essentielle des panoramas de Bruxelles réalisés au xvie siècle dans une orientation Est-Ouest (fig. 2). Le panorama est une des composantes essentielles de la tapisserie qui, sans ce dernier, placerait la scène du jeu de la bague dans un environnement inconnu, difficile à interpréter. Par ailleurs, non moins difficile à interpréter est la présence d’Henri III à Bruxelles.
Les quatre points abordés
Déjà mis en lumière par la thèse d’Amelia Frances Yates publiée en 1959, le lien entre la tenture et les festivités qui eurent lieu à Bayonne durant l’été 1565 a pu être renforcé et précisé. En particulier, la tapisserie du « Jeu de la quintaine », que nous appellerons le « Jeu de la bague », peut être rapprochée d’un extrait du récit du voyage de Charles IX rédigé par Abel Jouan et publié en 1566.
Les tapisseries reprennent de nombreux éléments de la description de ces festivités liées entre autres à la « Chasse de la Baleine et les fêtes sur l’Adour », au « Tournoi » ou au « Jeu de la bague », de nombreuses
observations et détails qui y sont décrits figurent sur les tapisseries
Pour le « Jeu de la bague », le moment choisi est celui où deux nains à cheval (un seul est représenté sur la tapisserie) portent un cartel à la tribune royale. Cette source et ce moment précis de la narration ont été choisis pour évoquer un jeu de la bague au palais de Bruxelles. Les trois éléments centraux de ce jeu, à savoir le mannequin en forme de dragon pivotant sur un axe et tenant un anneau suspendu au bout de la langue, le cavalier jouteur ainsi que celui qui s’apprête à le suivre figurent tous les trois sur un dessin d’Antoine Caron.
La figure d’Henri III n’est pas un simple portrait en pied. Elle se distingue des gravures qui furent réalisées dès l’accession d’Henri de Valois au trône de Pologne. Portant un habit à la romaine, il devient un héros muni d’une cape qui s’enroule autour de ses épaules et qui est attachée en formant une boucle. La forme et les couleurs de son costume rappellent celles du cavalier qui est en train de jouter.
La figure au sein de l’action à laquelle elle participe directement, à savoir le cheval et le valet qui le maintient, influence nettement la composition et impose un nouveau titre à la tapisserie. Henri III est sur le point de monter à cheval, sa jambe gauche fléchie dans une position qui présente le pied à l’étrier et un bras tendu vers le pommeau de la selle (fig. 3).
Le nouveau titre proposé
Fort de ces différents constats, il est désormais possible de proposer un nouveau titre à la tapisserie en tenant compte de trois critères : le
panorama et les jardins qui y conduisent, le jeu de la bague et son emplacement au palais de Bruxelles, et la posture d’Henri III.

Fig. 3 – Le départ d’Henri iii au palais de Bruxelles, détail de la figure d’Henri iii en habit de général romain.
De Bayonne à Bruxelles
Dans la bibliographie sur le sujet, cette scène est localisée à Bayonne, cité appartenant alors au Domaine français. L’association de la tapisserie en question avec des festivités ayant eu lieu dans cette ville en 1565 et organisées par la Cour du roi de France n’a pas manqué d’être rappelée et répétée. Tant et si bien qu’aucune analyse visuelle approfondie n’avait eu lieu qui permette de remettre en question cette attribution.
En réalité, le panorama en fond de perspective, d’une envergure approchant le mètre, est caractérisé par un palais perché haut sur un promontoire et des étendues basses de la ville de Bruxelles implantée entre ses deux enceintes. Bruxelles est reconnaissable à son Hôtel de ville qui dépasse de la multitude des toitures enchevêtrées du bâti, et de zones non bâties ;
le palais ducal situé à droite est identifié à la silhouette de sa grande salle du xve siècle, de sa chapelle construite au xvie siècle et des bâtiments du corps de logis (fig. 4).

Fig. 4 – Le départ d’Henri iii au palais de Bruxelles, détail du panorama urbain. On y remarque le palais de Bruxelles et sa grande salle, et l’Hôtel de ville caractérisé par sa haute flèche.
Nous pouvons dès lors proposer Bruxelles comme lieu où se déroule le jeu de la bague.
Du jeu de la quintaine au jeu de la bague
Les publications anciennes ont consacré le thème développé sur cette tapisserie au jeu de la quintaine, un sport équestre où le jouteur fait face à un mannequin qu’il doit toucher. Or, le mannequin sur la tapisserie est un dragon qui pivote sur un axe vertical, muni d’une queue où pend un poids allongé servant à déstabiliser le jouteur en retour. Le dragon tient au bout de la langue un anneau, qui fait office de bague, dans lequel doit se ficher la lance du jouteur. Nous parlerons dès lors du jeu de la bague (fig. 5).

Fig. 5 – Le départ d’Henri iii au palais de Bruxelles, détail du cavalier jouteur et du dragon portant la bague.

Fig. 6 – Le départ d’Henri iii au palais de Bruxelles, détail du groupe d’Henri iii, de sa monture et du valet qui la maintient. Il s’agit d’exprimer le départ du héros.
De la figure d’Henri III au Départ d’Henri III
La figure d’Henri iii ne peut pas être prise isolément de sa monture ni du valet qui la maintient. Elle appartient à un groupe qui signifie « le départ »,
repéré sur une cinquan-
taine d’œuvres allant du xiiie au début du xviiie siècle (fig. 6). La posture du héros au pied à l’étrier n’a pas été identifiée comme telle jusqu’ici sur la tapisserie. Pourtant, elle figure au premier plan de la scène, reléguant la joute, les
jardins et le panorama aux second et troisième plans.
En conclusion, combiner les trois indications présentées plus haut nous permet désormais de comprendre qu’à côté du jeu de la bague, le thème principal de la tapisserie est celui du départ d’Henri iii, et qu’en précisant les autres plans de l’action, le titre s’en voit complété et renforcé. Nous proposons le titre suivant pour la tapisserie du « Jeu de la quintaine » : « Le départ d’Henri iii au jeu de la bague dans les jardins du palais ducal à Bruxelles ».
Pierre Anagnostopoulos
Société royale d’Archéologie de Bruxelles




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